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Comment sauver le café rural ?
Paradoxe français : alors que les bienfaits du bistrot sont reconnus par la science sociologique, le nombre de licences IV s’écroule. Le 15 janvier, le Sénat accueillait son “Grenelle des limonadiers”

En savoir plus : www.bar-bars.com
«Les 55 000 débits de boisson recensés en 1999 n’étaient plus que 40 000 en 2006, et l’hémorragie continue avec l’interdiction du tabac et les lois anti-alcool », alerte Franck Camus, l’un des vice-présidents du syndicat UMIH* et restaurateur à Reims. Ces fermetures concernent surtout le monde rural et les centres urbains, l’activité économique s’étant déplacée dans les zones commerciales en périphérie des villes. Souvent, un café ferme lorsque ses tenanciers partent à la retraite, faute de repreneurs ou de crédit bancaire pour les candidats. « Il faut distinguer les causes de fermeture liées à l’évolution de la demande des clients et celles dues à la réglementation » précise Jean-Yves Pineau, directeur du collectif Ville Campagne (Aixe-sur-Vienne, 87). Selon Patrick Villemin, secrétaire général d’Heineken France, « le consommateur souhaite de bons produits à des prix ajustés, de la propreté, une convivialité dont le patron est le chef d’orchestre. Les jeunes générations - l’avenir des cafés - veulent rester connectées avec leurs amis, Internet wifi est donc indispensable ». Les causes réglementaires sont nombreuses, dont l’onéreuse mise aux normes (handicapés, incendie, hygiène…). Les bars les plus dynamiques et attractifs, tels les cafés-concerts sont les plus menacés par les lois anti-bruit et la complexité administrative. Seule méthode simple pour payer des amateurs ou semi-professionnels, la rémunération “au chapeau” est illégale, considérée comme du travail au noir, sans contrat ni cotisations sociales. D’autre part, la loi exige de tout établissement organisant plus de six concerts annuels une licence d’entrepreneur de spectacles.
Améliorer l’offre et modifier les lois
Les idées fusent. De nombreux responsables de bars débordent d’énergie pour or-ganiser des expositions (photos, peinture…) des cours d’œno-logie, de danse… Ils laissent à disposition des clients des étagères de livres à lire sur place ou emporter chez soi, à condition de le remplacer par un exemplaire de sa bibliothèque personnelle. On y écoute des conférences (philo, psycho, droit, échange de conversations en langue étrangère…) des projections de court-métrages sur les écrans occupés d’habitude par le sport ou les clips, des spectacles (musique, slam, scène ouverte, théâtre… voire de l’opéra comme dans la région des Pays de la Loire). Parfois un patron transforme son café en bar-brocante, ou en véritable petit musée dédié à sa passion. « L’après-midi, les cafés pourraient proposer des jeux de cartes ou de scrabble aux personnes âgées du village », suggère Patrick Villemin.
Aujourd’hui, les élus prennent conscience de l’importance du bistrot, souvent ultime commerce du village. « Le bar joue un rôle dans la lutte contre l’alcoolisme car il encadre une consommation limitée et dans un lieu sécurisé », justifie Franck Camus. Les élus locaux, les présidents de communautés de communes peuvent racheter ou préempter des établissements fermés pour les rénover et les louer, comme cela a été fait à Sainte-Menehould (51). Jean-Christophe Carcenac, patron d’un bar-restaurant routiers aux Farguettes (81) et président de l’UIMH 81 va investir 1,5 M€ pour construire un nouvel établissement sur la récente déviation routière. Il a négocié un parking de 2 ha avec la Communauté de communes. « Les maires ont un rôle à jouer et ils ne sont pas seuls, de nombreux organismes tels les CCI peuvent les aider, rappelle
Bernard Reynal, président de Fédération nationale des Bistrots de pays et également président de la Communautés de communes du sud-corrézien. Si un maire apprend qu’un bar doit fermer, son rôle est de le sauver. »
Pierrick Bourgault
* UIMH : Union des métiers
et des industries de l’hôtellerie.