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La revanche de San Marcos

La météo a perturbé les cérémonies de la Semaine sainte, cette année, en Espagne. À Mancha Real, en Andalousie, le lundi de Pâques a tenté de rattraper l'affaire.

Des femmes guettent au balcon l'arrivée de la procession.
Des femmes guettent au balcon l'arrivée de la procession.

Cette année, la San Marcos coïncide avec le lendemain de Pâques. Ce jour n'est pas férié en Espagne, hormis pour cette petite ville du nord de l'Andalousie, nichée dans les champs d'oliviers, et dont San Marcos est le saint patron. C'est également le nom d'une des nombreuses coopératives qui pressent les olives. En sort une huile dorée aux reflets verts comme si les feuilles des arbres noueux s'y mêlaient encore. Traditionnellement, quelle que soit la date du calendrier, la Semaine sainte est fériée en Andalousie. Les écoliers, les lycéens sont en vacances ; les entreprises ferment. Tout le monde suit peu ou prou les cérémonies, les processions, les pasos. Nombreux sont ceux qui se retrouvent en famille. Les habitants de Mancha Real bénéficient, cette année, d'un jour de plus.

Une dévotion quasi fétichiste

Ce printemps, la pluie qui fait souvent défaut au Guadalquivir et rend ses eaux boueuses, a été généreuse. Les oliviers s'en félicitent. Les paroissiens, moins. Les statues au visage tourmenté et au front couronné d'épines ne sont pas ou peu sortis pour la Semana santa. Les pavois fleuris, entourés par les fidèles, se sont cantonnés dans le chœur des églises, dodelinant comme des esquifs sur les épaules garnies de sacs de sable des pénitents réduits au sur place. Certains ont pleuré de déception. Certaines surtout. La dévotion quasi fétichiste de certains Espagnols, et pas forcément les plus âgés, surprend toujours. La tradition ici s'accommode d'internet, du Mac do et des boutiques tenues par les Chinois, les choses restent ancrées, on se marie à l'église sans devoir passer par la mairie, et les parents des mariés vont se confesser, la veille de la noce, pour que leurs enfants puissent convoler devant monsieur le curé. Alors, ce lundi de Pâquesensoleillé sonne comme une revanche sur le ciel gris.
Cristobal, qui fait office de sacristain, tire, de quart d'heure en quart d'heure sur la corde de la cloche pour rameuter les fidèles. De la porte de la
chapelle, il projette comme un défi des pétards vers le ciel. Il en fera de même, à chaque coin de rue, pour annoncer l'arrivée du saint. Pour se protéger la main, il a confectionné une petite planchette de bois avec une encoche pour y glisser l'amorce. Chaque tir, chaque éclatement de la poudre et son cortège de fumée suscitent un sourire béat chez un jeune un peu simplet qui le suit comme une ombre. C'est fête aujourd'hui. Et on voit bien que cette joie puérile ravit le bedeau. Peut-être se souvient-il, Cristobal, de sa propre joie enfantine, de ces veilles de fête, de ces matins énervés où il n'était question que de la sortie du saint patron.

La seule sortie de l'année

Le 25 avril, c'est sa seule sortie de l'année, à Marcos. Le reste du temps, il vit confiné dans sa chapelle de quartier, choyé par ses fidèles, ceux de la Cofradia, la confrérie. Mais jamais il ne foule les rues de la ville. Jamais il ne pose le pied dans les rues étroites et rectilignes qui mènent à la Plaza de la Constitucion. Hissé à mains d'hommes sur son pavois lambrissé et fleuri d'œillets rouge sang, il sort lentement, placide, briqué, rutilant, au son de l'hymne espagnol trompetté par la banda de la musica locale et passe, l'œil indifférent, aux baraques de la fête foraine qui, dès l'après-midi et jusqu'à tard dans la nuit, accueilleront jeunes, enfants et parents affamés de sensations, de churros, de bière et de barbe à papa. Les filles aux jupes courtes, yeux noirs et lèvres rubis, grimperont sur les manèges vertigineux, elles riront fort aux audaces des jeunes mâles. Tous s'éparpilleront ivres de leur jeunesse, insouciants ou aveugles à la crise qui touche leur pays, aux pancartes qui affichent les maisons à vendre, aux chantiers de construction à l'arrêt. Longtemps épargnée par les difficultés grâce à des entreprises nombreuses implantées dans sa zone industrielle, grâce à la culture des oliviers, deuxième et parfois troisième salaire de la famille, la ville est, aujourd'hui, elle aussi touchée par les soubresauts de la péninsule ibérique.
San Marcos lui avance sans cahots. Les roues de son pavois ont remplacé les épaules et un volant de marque Seat, à l'arrière gauche du véhicule, commande la manœuvre. Le saint avance dans les rues, à hauteur de premier étage, précédé par celles qui se partagent le port de la bannière. Elles sont allées chez le coiffeur, ont peut-être dormi moitié assises comme on le faisait au Moyen âge ou en Bretagne. La position allongée est celle des morts. La position assise celle des frais brushings. Elles sont fières de montrer leur saint patron, d'expliquer que la chapelle reste en état grâce aux dons des fidèles qui l'entretiennent. C'est sur leurs deniers et le savoir-faire d'une religieuse que les broderies qui décorent la nappe de l'autel ont été restaurées de fil d'or. Que le portoir a été remis à neuf. Alors, cette journée est un peu la leur. D'autres portent des insignes, une canne qui ressemble à celles des évêques. Et le curé, en civil, dans son blouson noir dont on aperçoit à peine le col romain, fait un peu figure insolite. Des femmes guettent, au balcon, décoré du drapeau espagnol, l'arrivée de la procession. Une saeta fuse soudain, dans la calle La Zambra : "San Marcos, benito Santo" chante un homme. C'est son moment de gloire qu'écoutent quelques rares passants.
Parvenu au terme de sa déambulation matinale, San Marcos disparaîtra, à nouveau au son de l'hymne espagnol, sous la porte en plein cintre de l'église paroissiale. San Juan Evangelista l'y attend. Que se raconteront-ils depuis un an qu'ils ne se sont pas vus ? Diront-ils comment va le monde ?  Parleront-ils de ce qu'ils ont vu ou entendu dans le secret des âmes qui se confient à eux ? Quelles sont les questions que se posent les hommes ?
Le soir venu, le défilé empruntera la calle San Marcos, la rue qui porte son nom. Il y aura un peu moins de monde pour l’accompagner. Cristobal fermera pour un an la double porte de la chapelle. Et la fête foraine résonnera tard dans la nuit andalouse.

 

M. L.-R.

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