Interview
Loi Duplomb : "Un texte pour continuer à entreprendre"
La proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur a été adoptée. Le point avec Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA.

Pensez-vous que ce texte va réellement simplifier le quotidien des agriculteurs ?
Luc Smessaert : C'était indispensable d'avoir ce texte. Il a été porté par deux sénateurs courageux, Laurent Duplomb et Franck Ménonville, qui ont eu l'audace de porter des mesures pour enfin retrouver un petit peu de bon sens et corriger la surtransposition franco-française qui tue l'envie d'entreprendre. Il a fallu beaucoup de détermination de la part des sénateurs et députés face à l'obstruction parlementaire du groupe écologiste, qui a extrémisé ce dossier alors qu'il s'agissait seulement de redonner la capacité de produire en France en se rapprochant des règles européennes. Quand je dis se rapprocher, c'est parce que, malgré tout, on restera avec ce texte avec des mesures toujours un peu plus contraignantes que le reste de l'Europe. Ce texte n'est pas révolutionnaire, mais il va quand même permettre de pouvoir continuer à entreprendre. C'est un combat que la FNSEA et les JA ont porté. Il était indispensable d'aller au bout. On en a ras-le-bol des politiques qui nous font des promesses qui ne se traduisent jamais concrètement dans nos fermes. Maintenant, il faut aussi que la ministre signe les décrets qui vont avec la loi, parce qu'une loi sans décret, ça ne sert à rien. Il y a encore un gros travail de la part du ministère sur la simplification, on est encore très loin. Beaucoup de choses sont en attente. On avait dit qu'on donnerait la main aux préfets sur tout ce qui est dates d'épandage, dates de taillage des haies, etc. Là-dessus on attend toujours.
Quels effets concrets pensez-vous voir à court terme sur les exploitations ?
LS : Concrètement, les effets à court terme sont multiples : C'est la fin du conseil stratégique phytosanitaire, qui était obligatoire, qui coûtait 400 €, qui nous prenait une journée et qui ne servait à rien. C'est aussi la fin de la séparation vente-conseil : demain nos coopératives, nos techniciens vont pouvoir nous vendre des produits et nous fournir un conseil technique. On n'est pas des addicts aux phytos, mais je préfère que le technicien qui me vend les phytos puisse aussi me conseiller. S'il ne me donne pas le bon produit ou les bonnes doses, c'est lui qui sera responsable. Les conseillers des Chambres d'agriculture continueront aussi à apporter un conseil neutre et complémentaire. C'est ensuite le retour de l'utilisation de l'acétamipride par dérogation. C'est un produit qui est utilisé dans 26 pays européens sur 27. Il n'y a qu'en France qu'il n'était pas homologué. C'était du non-sens total. On devait traiter à l'aveugle, alors que nos voisins européens ont des solutions bien plus efficaces sans revenir à des méthodes d'il y a 20 ans. Sur les bâtiments d'élevage, c'est éviter de rajouter des couches pour les gens qui sont en projet de construction, notamment ce qui est lié aux installations classées. C'est revenir à la norme européenne plutôt que nos usines à gaz. On était arrivé à un point où il devenait impossible de construire un bâtiment pour des bovins, pour des porcs, pour des volailles. Le stockage de l'eau est déclaré d'intérêt général majeur et c'est important. Sans eau, il n'y a pas de production. Avec le changement climatique, la capacité de stocker l'eau quand elle tombe en excès l'hiver pour l'utiliser, c'est une manière de ne pas puiser dans la nappe. C'est que du bon sens. Concernant l'assurance prairie, on souhaite avoir un système assurantiel qui fonctionne. On sait qu'on aura affaire à des sécheresses et qu'on se souvient des années 2003-2011, sur lesquelles les éleveurs avaient été mis en difficulté. Sur l'article 6 et l'OFB, on confirme que les agents de l'OFB seront majoritairement sous l'autorité du préfet et qu'on sera sur des amendes administratives plutôt que des amendes pénales. On ne sera plus demain considérés comme des voyous. On est des gens respectueux de l'environnement.
D'autres syndicats considèrent cette réforme comme un obstacle à l'agroécologie et à la protection de la biodiversité. Quelle est votre réponse à ces critiques ?
LS : Beaucoup ont voulu extrémiser le débat, dresser l'agriculture contre l'environnement, l'agriculture productiviste contre l'agriculture biologique. Non, je pense que même en agriculture biologique, on a besoin de pouvoir construire un bâtiment d'élevage, on a besoin de stocker de l'eau. Quand on est en agriculture biologique, on a besoin de trouver des solutions. Ce texte dit justement que le maintien de la production sur l'ensemble du territoire, c'est la meilleure garantie vis-à-vis de l'environnement. Plus il y aura de production, mieux l'environnement se portera et sera en bonne santé. Être capable en 2025 d'avoir les mêmes règles que les autres pays européens, ça ne veut surtout pas dire qu'on va faire n'importe quoi, ça veut juste dire que demain on va continuer à produire notre alimentation chez nous plutôt que de l'importer de l'autre bout de la planète avec des méthodes qui ne sont pas du tout celles qu'on accepte. Si on pense au Mercosur, 80 % des produits phytosanitaires utilisés là-bas sont interdits chez nous. C'est ça qu'on ne veut pas. C'est surtout arrêter d'importer l'agriculture qu'on nous interdit. Les agriculteurs ont dans leur ADN le respect de l'environnement. Quand on nous dit qu'on est des tueurs d'abeilles, je suis désolé, mais on n'a jamais fait autant de récoltes de miel qu'en 2025. Quand il y a le soleil, quand il y a le colza, les apiculteurs sont heureux et nous aussi. On peut citer beaucoup d'exemples comme ça. Aujourd'hui on voit de nouveau des chauves-souris, des hirondelles, parce qu'on ne fait pas n'importe quoi. Le politique veut toujours voir du court-termiste alors que nous sommes sur un temps plus long parce que la nature ça ne se travaille pas sur quelques semaines, mais sur plusieurs années. La société doit se rendre compte qu'on a une des meilleures agricultures au monde et qu'il faut encourager les agriculteurs plutôt que de tomber dans des débats stériles. Demain on aura besoin d'agriculteurs, de produire, mais on aura aussi besoin d'abeilles, donc on aura aussi besoin de biodiversité, et je pense que ce tournant, ce virage, les agriculteurs sont prêts à le prendre si on leur donne les moyens de produire.
Quels sont les signaux forts que vous attendez désormais des ministères ?
LS : On va être vigilant par rapport au Conseil constitutionnel puisqu'il y a eu un recours. On aura la réponse le 15 août. Ce que j'attends, c'est que la ministre prenne rapidement tous les décrets. Les gens ne savent pas que lorsqu'un texte est voté, il faut signer toutes les mesures d'application afin que dans chaque département la loi soit appliquée. Il y a encore un gros travail de la part du ministère sur la simplification et là-dessus on n'avance pas beaucoup. Il nous reste cependant un gros travail à faire, notamment dans les villes. Il y a eu des menaces verbales, des menaces de mort contre MM. Duplomb et Ménonville, des tags anti-FNSEA... Ça montre qu'il y a eu un éloignement et nous, syndicats et Chambre d'agriculture, avons le devoir de mieux expliquer ce qu'on fait. On ne va rien lâcher. À la FNSEA et JA, la détermination est totale.