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“Pour sauver la planète, sauvons les paysans”

Géographe, économiste et écrivain, spécialiste des questions de développement, Sylvie Brunel, enseignante à Paris IV Sorbonne, a travaillé pendant plus de quinze ans dans l'humanitaire. Elle a récemment publié ce texte : “Si l’agriculture détient les clés du développement durable...” retranscrit ci-dessous.

Aujourd'hui, les revenus des agriculteurs français sont en chute libre. Beaucoup d'entre eux, éleveurs, producteurs de lait ou de fruits et légumes, se trouvent dans une situation désespérée : endettés, parvenant à peine à se rémunérer. Ceux qui ne renoncent pas travaillent avec le sentiment d'avoir été grugés.
Pendant des années, on leur a demandé d'investir, de respecter un cahier des charges de plus en plus contraignant. Ils l'ont fait. Et ils se retrouvent assommés sous les contraintes, la paperasserie, les contrôles, étranglés par la grande distribution. De véritables soutiers.
Leur rôle était, pensaient-ils, de nourrir la France, d'assurer son rayonnement à l'étranger, par des produits de qualité, prestigieux et enviés partout dans le monde. Pendant des décennies, la France a respecté le pacte conclu envers ses paysans : produisez, soyez performants, assurez notre richesse et nos exportations, et en retour, nous vous soutiendrons, nous vous protégerons. Car nous avons besoin de vous.
Et voilà qu'après avoir été les sauveurs de la nation, les paysans se voient aujourd'hui accusés d'en être les fossoyeurs : vous coûtez trop cher, vous polluez, vous nous empoisonnez avec vos produits industriels et votre agriculture productiviste, vous saccagez la nature, vous empoisonnez les eaux, tel est le discours ambiant à leur sujet. On les regarde avec défiance. Plus grave encore, il semble que leur mort sociale soit programmée : seuls resteront les plus habiles et les plus performants.
Pourtant, et il est urgent d'en prendre conscience rapidement, surtout après l'échec de Copenhague, le monde agricole est le garant d'un véritable développement durable. D'abord, et c'est le plus évident, parce qu'il produit la nourriture que nous consommons, une nourriture à la fois plus diversifiée et plus saine que jamais (...).
À l'heure où il faudra doubler la production alimentaire mondiale d'ici un demi-siècle pour répondre aux défis de la croissance démographique et urbaine, nous avons besoin d'une agriculture nourricière, variée, efficace, mais aussi d'une agriculture qui soit écologiquement intensive.
Les paysans aujourd'hui sont pleinement conscients de la nécessité de mettre en œuvre des techniques agricoles qui concilient respect de l'environnement et performance. La consommation d'engrais a été divisée par dix en dix ans. Des bandes enherbées
longent les cours d'eau. Après avoir produit beaucoup parce que l'Europe avait faim et dépendait de l'extérieur pour se nourrir, leur préoccupation est aujourd'hui d'identifier, sur tous les territoires, les meilleurs moyens de répondre à la demande tout en préservant l'avenir (...).
Pourquoi ? Parce que cette nature que les citadins aiment tant est le produit de sociétés paysannes, qui ont entretenu les chemins, ouvert les espaces inaccessibles, débroussaillé, planté, sélectionné. Les espaces verts sont d'abord des espaces agricoles. Pas un paysage en France qui n'ait été façonné par des paysans. Livrez la nature à elle-même : vous n'y mettrez plus les pieds ! Ronces, taillis, genêts, orties envahissent tout. La diversité et la beauté de la France, notre pays les doit à des siècles de tradition agraire. Il faut désormais réconcilier les citadins et les paysans (...). Mais ce n'est pas tout. Si l'agriculture détient les clés du développement durable, c'est aussi parce qu'elle produit des ressources renouvelables dont les usages sont innombrables, dans tous les domaines. Aujourd'hui, seule une petite quantité du blé sert à faire du pain. Et il existe plus de 1 500 utilisations pour un épi de maïs ! Qu'il s'agisse des emballages, des colles, des carburants, la demande et les débouchés sont infinis pour l'agriculture et permettent de remplacer les énergies fossiles.
Terminons par ce qui préoccupe le plus la communauté internationale : les gaz à effet de serre. Nous dépensons des sommes considérables pour limiter nos rejets d'oxyde de carbone, lorgnons vers les forêts tropicales comme si elles seules pouvaient sauver la planète. Sait-on que, dans le calcul de l'empreinte écologique, un champ cultivé séquestre plus de CO2 qu'une forêt ? Et une prairie autant ? Il ne s'agit évidemment pas de défricher toutes les forêts pour les mettre en culture, leur superficie ne cesse, de toute façon, de progresser en France. Il s'agit de comprendre que les paysans, dès lors qu'ils mettent en œuvre des pratiques durables, sont aussi pour nous les meilleurs garants de la lutte contre le changement climatique.
Que se passera-t-il si nous décourageons nos agriculteurs ? S'ils quittent les campagnes les uns après les autres ? Vers quelle société nous acheminons-nous, alors que l'équivalent d'un département de bonnes terres est déjà perdu tous les dix ans par l'extension de l'habitat et des réseaux ? Nous faudra-t-il demain compter sur les Chinois, les Argentins et les Camerounais pour nous nourrir ? Nous devons abandonner notre vision fausse et passéiste d'une nature qui existerait indépendamment de l'homme et faire enfin confiance à ceux qui la connaissent, l'aménagent et en tirent le meilleur. Pour notre plus grand plaisir : les paysages. Notre santé : la nourriture. Mais aussi notre salut : un développement durable aussi soucieux de la planète que de ceux qui l'habitent passe d'abord et avant tout par le respect de nos paysans.

Sylvie Brunel

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